Luchadores : du catch et des cocotiers
Luchadores ou Buffy au Triangle des Bermudes
Aussi étonnant que cela puisse paraître, le jeu dont je vais vous parler aujourd’hui est un jeu rétro malgré son jeune âge : paru en 2011 chez Pulp Fever, Luchadores est épuisé, introuvable et n’existe même plus dans le catalogue de son ancien éditeur. Je vous présente par avance mes excuses si je vous donne envie de combattre le mal à grand renfort de german supplex¹ et autre hurricanrana¹…
Comme son nom et sa couverture l’indiquent clairement, Luchadores tire son inspiration primaire de la lucha libre (le catch mexicain) et de ses dérivés, bandes dessinées et films d’exploitation mettant en scène des combattants masqués luttant contre des méchants de toute sorte (mafieux, savants fous, monstres, extra-terrestres…). De cette imagerie haute en couleur, les auteurs de Luchadores ont tirés le maximum pour créer Los Murcielagos, archipel des Caraïbes au centre duquel se trouve l’Espirale Grande, tourbillon marin qui vomit des torrents de créatures maléfiques et attire les illuminés de tous poils. Heureusement pour l’humanité, de courageux combattants masqués sont prêts à tout tenter pour vaincre cette menace surnaturelle: les Luchadores.
Pour mettre en valeur ce cadre de jeu qui sent bon le carton-pâte et le sable chaud, il fallait un système de jeu tout aussi exotique et dynamique; Luchadores ne déçoit pas sur ses deux points, bien au contraire. Empruntant de nombreux termes techniques au monde de la Lucha Libre, il apporte une touche de dépaysement sans être trop hermétique : les caractéristiques du personnages deviennent ainsi des styles de catch (Rudo pour la force, High-Fly pour l’agilité…), les ennemis les plus faibles sont appelés Jobbers² et les pouvoirs Signature Moves et Finishers. Même sans être familier de la lutte mexicaine, les termes sont suffisamment clairs pour se faire une idée de leur signification sans facelock³.
La mécanique de jeu de Luchadores est astucieuse et facile à prendre en main. Pour résoudre une action, le joueur lance autant de D6 que sa valeur de caractéristique et de son éventuelle Vocation (ensemble de connaissances et de savoir-faire du personnage) ; les dés identiques apportent autant de réussites, leur valeur déterminant la qualité de ces réussites. Pour le combat, les Manœuvres entrent en scène pour apporter de la variété et de l’originalité aux joutes musclées : le joueur décrit une séquence de mouvements (jusqu’à quatre) qui viennent enrichir son jet d’attaque et celui du défenseur. Ajoutez à cela la possibilité d’inclure des coups spéciaux et vous obtenez, passés les premiers tâtonnements, un système cinématique et fluide taillé sur mesure pour un jeu de rôle à l’action débridée.
Sur le papier, Luchadores accumule les choix artistiques pour le moins hasardeux : en choisissant de créer un jeu autour de héros catcheurs masqués dans une ambiance 60’s des tropiques digne des plus flamboyants nanars d’exploitation, les auteurs prenaient le risque de ne pas être suivi dans leur délire de niche. C’était sans compter sur une passion indéniable et communicative qui transpire à la lecture de cet ouvrage et même les plus réfractaires à cette imagerie hautement kitch peuvent se laisser séduire par ce jeu clé-en-main, livré avec écran et campagne. Un jeu tellement jouissif et généreux qu’il aurait pu être écrit par Joss Whedon…
Luchadores est un jeu de rôle écrit par Romain d’Huissier, Willy Favre et Julien Heylbroek, anciennement édité par Pulp Fever.
¹ vous l’aurez sans doute deviné, ce sont des prises de catch ² jobber: en catch, désigne les lutteurs qui servent de faire-valoir aux stars ³ facelock: en catch, une prise de tête