Agôn, la Mythologie à portée de dés
Malgré un potentiel ludique assez énorme, la mythologie grecque reste un sujet relativement peu exploité en jeu de rôle. C’est d’autant plus surprenant qu’entre le succès de la franchise console God of War et celui du 300 de Zack Snyder, on peut imaginer qu’un jeu qui fleure bon les muscles huilés et les interventions divines n’aurait aucun mal à trouver son public. Comme bien souvent, c’est de la scène indépendante américaine que vient la réponse : Agôn vous propose d’incarner un héros grec en quête de gloire, sous le regard de dieux imprévisibles et manipulateurs.
L’originalité d’Agôn n’est pas à chercher dans son cadre de jeu : qui n’a jamais entendu parler de la Grèce mythologique et de toutes ses légendes ? La présentation du monde est d’ailleurs largement survolée dans le livre, partant certainement du principe que les joueurs sont en terrain connu et qu’il n’est pas utile de perdre du temps à expliquer qui sont Zeus ou Héraclès. Par contre ne vous attendez pas à jouer les intrigues politiques qui secouent l’Agora, on est ici pour briller aux yeux des hommes et des Dieux et inscrire son nom dans la Légende. Mais pour briller, il ne faut pas être éclipsé par ses compagnons…
Cette rivalité entre personnages (d’habitude peu encouragée en jeu de rôle) constitue le cœur du système d’Agôn¹. Attention toutefois, on ne nage pas en pleine tragédie : cette compétition reste du domaine de l’émulation et non de la jalousie, on reste avant tout des héros qui luttent ensemble avec honneur. Dans cette optique, chaque test peut devenir un défi entre personnages (en tout cas ceux qui le désirent) et le meilleur remporte le plus de Gloire, qui sert également de points d’expérience. Autant dire que les joueurs sont plus qu’encouragés à se lancer, à plus forte raison que seul l’échec n’apporte rien.
Pour simuler ces joutes épiques, Agôn propose un système de résolution simple : on jette deux dés et on retient le meilleur, ceci des deux côtés de l’écran et le résultat obtenu par le meneur est la difficulté à battre par les joueurs. Mais pour se distinguer de leurs compagnons, les personnages auront la possibilité de se fatiguer ou d’utiliser une Faveur Divine, car comme tout héros grec qui se respecte, les personnages auront la bénédiction d’un Dieu. Les Dieux sont d’ailleurs le moteur de l’action car ce sont eux qui demandent aux héros d’accomplir certaines tâches (des travaux?), qui seront autant d’occasions de briller.
Autant le dire tout de suite, Agôn propose une expérience jeu assez singulière qui peut rebuter de prime abord : encourager la compétition n’est pas dans les habitudes des rôlistes, avec toutes les craintes que cela suscite en terme de bonne ambiance. Pourtant le jeu de Wilhelm Fitzpatrick et John Harper réussit magnifiquement à contourner cet écueil au détour de règles de récupération partagées qui lient les personnages les uns aux autres dans l’honneur et la fraternité. Le jeu ne se prête clairement pas à des campagnes de longue haleine mais pour du one-shot² héroïque et décomplexé, c’est un quasi sans-faute. Quand on sait que l’éditeur français, La Boite à Heuhh, a eu la bonne idée de glisser deux scénarios exclusifs, on ne voit pas trop ce qui pourrait venir contrarier une furieuse envie de pourfendre du titan en sandalettes…
¹ le nom d’Agôn n’est d’ailleurs pas choisi par hasard : il désigne des compétitions sportives ou artistiques qui avaient lieu durant les célébrations religieuses
² scénario indépendants, sans autre lien que les personnages-joueurs en commun (et encore)