[Fantasia] Critique de Turbo Kid
Le 23 juillet à Montréal, Turbo Kid était présenté en grande première Canadienne au Festival International Fantasia, après avoir impressionné à sa première mondiale à Sundance et fait le tour du monde depuis dans les festivals de cinéma.
Depuis des années, le collectif de cinéastes Roadkill Superstar, c’est-à-dire Yoann-Karl Whissell, Anouk Whissell et François Simard, ont écrit et réalisé une vingtaine de courts métrages. Ils se sont fait remarquer, entre autres, avec Le Bagman et T is for Turbo. Ce dernier a été primé dans le concours pour l’anthologie the ABCs of Death. Bref, le succès de T is for Turbo à rendu possible la production d’une version long métrage : Turbo Kid. La présentation de ce film à Fantasia n’est pas, pour eux, une projection parmi d’autres. C’est littéralement un rêve devenu réalité.
Assez d’historique, venons-en au film.
Après un événement apocalyptique, le restant de l’humanité survit dans un wasteland sans fin. Le moyen de transport le plus rapide est le BMX, l’eau potable propre est extrêmement rare et les plus chanceux pourraient peut-être trouver un bon vieux Walkman dans des décombres de l’ancien monde. Nous sommes en 1997.
Turbo Kid est d’abord un pastiche. Un pastiche des films postapocalyptiques des années 80, tel un Mad Max. C’est aussi un pastiche des spaghetti western; notamment dans les scènes de flashback du personnage principal, lorsqu’enfant, il assiste à la mort de ses parents dans une mise en scène qui évoque Once upon a time in the west. Un pastiche de film gore extrême qui de part son excès cartoonesque, fait rire plutôt que d’horrifier, tel un Evil Dead.
Turbo Kid c’est aussi un film original, réalisé par des enfants des années 80 qui s’inspirent fortement des films qui ont marqué leur jeunesse et forgé leur imaginaire, mais qui en propose également une relecture. Le personnage principal, The Kid, fouille des dépotoirs pour y trouver des reliques du passé : cassette audio en bande, un comic book de superhéros écrit à la Stan Lee, des nains de jardins, etc. Il ne se sépare jamais de son View Master, lié à la mémoire de sa mère. Pour se réchauffer? Il brûle des cassettes VHS.
Or, les films auxquels Turbo Kid fait référence étaient réalisés dans les années 80 et il est donc normal que l’apocalypse fût imaginée dans les années 90, remplie de reliques du présent de l’époque. Mais on est bien en 2015. Le choix de quand même camper l’action en 1997 peut être interprété simplement comme un élément du pastiche, mais également comme une façon de parler d’une génération, celle des réalisateurs, pour qui les trésors de leur enfance sont des gadgets obsolètes dans les yeux d’un monde principalement numérique.
The Kid, orphelin, vit seul jusqu’au jour où il fait la rencontre de Apple, une jeune femme en apparence mésadaptée socialement, envahissante, enfantine, mais sympathique. The Kid lui montre les rudiments de la survie dans le wasteland, alors que Apple est plutôt intéressée à jouer à la tag. Un attachement se forge tranquillement entre les deux. Malheureusement, Apple se fait kidnapper par un acolyte de Zeus, le chef d’une gang qui terrorise les habitants de la région, et qui, à l’aide d’une machine, transforme les corps d’humains kidnappés en eau potable. (Un peu comme la machine de Kevin Costner dans Waterworld qui transforme l’urine en eau.) Le récit devient principalement une suite de poursuites et de scènes de combat où les méchants (et parfois des gentils) se font exploser, décapiter, éviscérer, découper, désintégrer, et ce, toujours de façon plus créative que la précédente. Le coup de la bicyclette stationnaire attachée aux intestins d’un prisonnier, par exemple. Le sang gicle et les morceaux de corps revolent avec des effets pratiques réalisés avec brio et talent. C’est dommage que certains effets numériques ne soient pas toujours du même niveau que les effets pratiques, mais c’est un détail qui ne nous sort pas de l’expérience cinématographique, car le film ne repose pas sur cet aspect.
Et bien que l’action soit amusante, ce n’est pas là non plus que réside l’âme du film (car il y en a une!), mais bien dans les personnages colorés qui contrastent avec le wasteland gris. Les personnages principaux, The Kid, Apple et Frederic, un cowboy expert du bras de fer, forment un trio improbable dont on ne se lasse pas et auquel on s’attache rapidement. Mais surtout, ils sont drôles, notamment Laurence Leboeuf dans une performance unique qui prend tout son sens quand on découvre la vraie nature du personnage. Les vilains sont tout aussi colorés. Évidemment, Michael Ironside, ultime référence aux films des années 80, dans le rôle de Zeus, joue le vilain comme il sait le faire. On réussit même, par la qualité de la mise en scène et le jeu d’Edwin Wright, à donner une personnalité à Skeletron, un personnage masqué et complètement muet tout au long du film. Munro Chambers assure le rôle-titre avec justesse.
La direction artistique, les costumes et la direction photo nous font tantôt croire que nous regardons un film des années 80, tout en ayant le sentiment de découvrir quelque chose de rafraîchissant. Le film n’est pas prisonnier d’un concept; on sent à travers l’écran la liberté et la joie de création des artisans. Et que dire de la bande-sonore par le groupe Le Matos, à part qu’elle est parfaite et nous fait frissonner aux bons moments. La musique nous rappelle une époque où nos héros pouvaient être colorés et empreint d’un espoir naïf, tout étant quand même badass.
La plus grande qualité de Turbo Kid, c’est que contrairement à la grande majorité de ce que pond Hollywood depuis années, c’est simplement que c’est le fun. C’est drôle, c’est touchant, c’est amusant. De réaliser un tel pastiche, avec autant de références, avec autant d’humour, autant de gore ridicule et quand même nous faire croire aux relations et aux enjeux, c’est tout un défi. Un défi que le trio de Roadkill Superstar a relevé avec talent et intelligence, mais surtout, avec passion.
Réalisation et scénario : François Simard, Anouk Whissell, Yoann-Karl Whissell
Interprètes : Michael Ironside, Munro Chambers, Laurence Leboeuf, Edwin Wright
Production : EMAfilms du Canada et T&A Films de la Nouvelle-Zélande.
Distribution : Filmoption International/Raven Banner Entertainment/Epic Pictures Group
Canada/Nouvelle-Zélande – 2015