Sortileges : l’entretien ludique par Gregz
C’est lors du festival Manga sur Loire, que nous avons eu l’occasion d’aller discuter jeux de société avec Benoit, responsable du magasin Sortileges de Tours.
Un échange sur le monde du jeu, sur ce qui marche, et les jeux testés, et à tester sur TechArtGeek.
Salut Benoît. Est-ce que tu peux nous présenter un peu Sortilèges ?
Bien sûr : Sortilèges c’est une boutique de jeux de sociétés sur Tours, notamment. Mais c’est également un réseau. On a des boutiques à Angers, à Nantes et un réseau de gens qui ouvrent en indépendants sous enseigne à Niort, La-Roche-Sur-Yon, Saint Malot et Perpignan. C’est une aventure qu’on aimerait continuer et qui se poursuit pour le moment. Nous sommes des magasins spécialisés dans le jeu de société sous toutes ses formes. Ça va du jeu traditionnel – Echecs et Dames – jusqu’au jeu plus spécialisé type jeux de figurines. Après on traverse différents supports comme les jeux de cartes à sélectionner – Magic, Yu Gi Ho !, Pokemon – et puis le jeu de société à proprement parler qui est dans un boost populaire pour le moment. Parmi ces jeux de société il y a aussi plusieurs catégories comme le jeu pour enfants qui est en plein boom. Le jeu « moderne » comme Aventuriers du Rail, Catane qui existe depuis quelques années et enfin des jeux un peu plus core gamer comme Descent etc. Là, il y aura plus de matériel, des figurines et puis on est dans des univers plus core : fantasy type Seigneur des Anneaux ou autres supports à licence ou pas d’ailleurs.
Est-ce que tu peux expliquer pourquoi on sent ce relent énorme du jeu de plateau depuis quelques années ?
Jeu de plateau ou pas, hein ! Je pense que le jeu qui a vraiment le vent en poupe, il y a le party game, des choses comme Time’s up ! ou Dobble, des jeux qui sont extrêmement courts à expliquer et qui ont un effet de jeu garanti basé plus sur l’ambiance. De l’autre côté, il y a le jeu familial type Aventuriers du Rail, Jamaica qui sont des jeux plus posés mais où on se retrouve en famille. On peut se pourrir dans les jeux mais ça reste sympa – ce qui se passe à la table de jeu reste à la table de jeu. Normalement. Et je crois que c’est ça qui mène la danse et qui fait que les gens se retournent vers le jeu parce qu’il y a quelque chose de concret.
En ce moment, les jeux qui fonctionnent le plus chez Sortilèges, c’est quoi ?
En top vente,Dobble. C’est un jeu qu’on ne conseille même plus. Pour donner une idée, il y a des jeux qu’on commande par 1, d’autres par 2, d’autres par 6, d’autres par 12. Lui, on le commande par 60 pour te donner un ordre d’idée. C’est du délire ! Mais il est bien, il le mérite. Des choses comme Times up ! aussi ça se vend toujours très bien. Tous ces jeux party game, comme je disais tout à l’heure, qui fonctionnent bien. Dans le jeu de plateau, les top vente : Aventuriers du Rail : Europe notamment qui est le format le plus familial. Après y a le jeu à deux : les couples aiment bien çà, se retrouver devant un jeu. On avait au départ un petit rayon qui maintenant est très large de jeux spécifiquement conçus pour être joués à deux, notamment Mr Jack et Mr Jack Pocket qui est son pendant plus petit mais qui est totalement différent. Les deux ont donc leur place dans une ludothèque. On y joue qu’à deux. Mr Jack, c’est un jeu de déduction assez stratégiques Les jeux à deux sont plutôt des jeux cérébraux. Mais on est sur des thèmes sympas, y a un côté esthétique sympa qui fait qu’on sort du traditionnel jeu d’échec.
Des jeux comme Catane ou ce genre de choses, tu peux expliquer un peu le succès de ce genre de jeux ?
Catane est connu plus qu’un autre parce que, au début, y avait rien. Le marché allemand du jeu de société était en avance de dix ans sur nous et là où tout foyer français a un Monopoly dans ses placards, en Allemagne c’est un Catane. Pour ceux qui connaissent, dans un épisode de Derrick, il arrive dans une maison et il y a des enfants qui jouent à un jeu qui a l’air bizarre. Et bien c’est un Catane. C’est assez rigolo de voir que c’est un code chez eux. Du coup, ce jeu-là a été un des premiers à être apparu en France et du coup, il est resté. Toute cette époque des jeux 2000, 2001 à 2004 y a des jeux qui restent parce qu’ils étaient les premiers. Ils ne sont pas forcément meilleurs que d’autres qui sortent maintenant, mais ils font partie de l’imaginaire collectif.
A priori, ce jeu-là a fait un carton aussi aux Etats-Unis.
C’est pareil : il est venu en premier. Je pense qu’il y a des choses qui marquent les esprits. Genre Star Wars, çà marque les esprits. Ils ont été rediffusés récemment parce que c’est la mode. Tu regardes les anciens, ils n’ont plus rien à envier aux nouveaux, peut être scénaristiquement et encore… C’est parce que c’étaient les précurseurs donc ça reste forcément.
Ton avis sur tout ce qui est custo de jeux, genre les Monopoly Star Wars, les Monopoly Walking Dead… C’est quoi ton avis, là-dessus ?
Je ne suis pas friand. Peut-être parce que, de base, j’essaie de m’éloigner de cette société consumériste. (rire) Mais c’est un avis tout à fait personnel. Je sors du cadre pro. Reprendre un jeu avec une licence, c’est quelque chose qui me saoule un peu. Après, il peut arriver que dans ce lot de trucs, il y ait des choses qui soient bonnes malgré tout. Notamment, çà n’est pas une reprise mais il y a un jeu à licence qui s’appelle Spartacus qui est juste immense ! Il est passé hyper discrètement parce qu’il n’a pas été traduit. Il est en passe de l’être en français. On l’a beaucoup commercialisé en VO mais il est génial alors qu’il est tiré d’une licence.
Le prochain jeu qu’on teste sur TAG, alors, c’est quoi ? Qu’est-ce que tu vas nous proposer, qu’est-ce qu’on peut imaginer ? Qu’est-ce qu’on attend comme jeu qui va sortir dans les semaines à venir et qui sera absolument fabuleux ?
En fait, y a tellement de choses qui sortent aujourd’hui, c’est tellement prolifique, qu’on est nous-mêmes, petits boutiquiers, un peu asphyxiés. Il sort à peu près 500 jeux par an depuis quelques années. Si on réduit, ça fait 10 par semaines, sauf que pendant l’été ou d’autres périodes un peu calmes, il n’y a pas beaucoup de sortie. On peut donc dire qu’il y a environ 12-15 jeux qui sortent par semaine. C’est trop ! C’est ce qui a tué le marché allemand. Comme on a 10 ans de retard sur eux, on sait ce qui se passe. On pourrait l’éviter mais ça se passe quand même. Alors on va voir ce qui se passe dans les années à venir. Du coup, il y a tellement de choses à venir, j’ai peur de ne pas savoir ce qui va être bien dans tout ce qui va être bien.
Takenoko c’est un jeu plutôt familial. Il aurait sa place parce que, esthétiquement, il est illustré par des gens qui sont d’ailleurs dans la BD, Nicolas Fructus est assez connu pour ça. Y a une vraie esthétique autour du jeu de société donc il aura peut-être sa place sur TAG parce qu’il est joli mais derrière, c’est un vrai jeu qui, derrière son aspect kawai, est un vrai jeu d’enfoirés où on peut se pourrir et deviner quels sont les objectifs des autres pour mieux les contrer. Donc pourquoi pas celui-là.
Après, y a Rampage…
Ah mais on a déjà testé !
Mais c’est quoi ce site qui teste tout, là ? Dans les jeux qui sont imposés y a Jamaica. Je parlais de jeux d’enfoirés avec Takenoko mais ce n’est pas son objectif premier d’être un jeu d’enfoirés et par essence, il l’est. The Island, là, clairement, l’auteur a fait un jeu d’enfoirés. C’est un jeu de plateau avec une grosse boîte et pas forcément gros budget puisqu’il est à 35 EUR, ce qui est honnête pour un jeu de plateau. On doit sauver ses petits bonhommes qui sont sur une île qui s’enfonce dans l’eau au fur et à mesure. Le problème, c’est que pour aller vite, on va prendre les barques mais on ne peut pas aller tous dessus. C’est celui qui est en majorité qui décide où elle va. Puis y a des monstres marins qu’on va utiliser pour manger les autres. C’est un jeu assez horrible, assez cruel. Mais qui est sympa : qui est assez dynamique. C’est limite un jeu apéro auquel on va jouer en début de soirée.
Ah oui donc c’est assez rapide…
Oui, on boucle une partie en 45 minutes.
On a eu une preview hier, c’est Zombie 15.
Edité par Iello. On a déjà plein de jeux de zombies en boutique. Je ne peux pas tout prendre parce que quand tu as déjà 6 références de jeux de zombies, tu ne vas pas en prendre plus.
Mémoire 44, je suis super fan. Je pars en Normandie en vélo faire un trip fin mai pour les 70 ans du débarquement mais surtout je finis à l’open de France de Mémoire 44. J’ai aussi un jeu de carte Game of Thrones qui existe depuis 10 ans mais qui est extrêmement confidentiel. Y a une communauté de plus ou moins 400 joueurs en France mais c’est un jeu qui vit depuis 10 ans, qui a fait vendre, qui a généré du business. Maintenant il est super connu parce qu’il y a la série. C’est bien parce qu’il y a plein de gens qui le découvrent. C’est assez marrant parce que du coup, c’est le processus inverse : on vient nous dire « Ah tiens vous avez un jeu de carte de la série ? » Ah non, il y avait un jeu de carte avant la série !
Cà c’est pareil : Lewis & Clark… Très bon jeu : il est tombé en rupture. C’est tout à fait typique du jeu de société à l’heure actuelle. Il est édité à 3000 exemplaires parce qu’ils y ont cru. Et il est épuisé en deux semaines. Là, y a une nouvelle édition qui ressort bientôt mais il y a eu un trou de quatre mois. Du coup, la question, c’est va-t-il se vendre autant qu’il se serait vendu s’il avait été disponible au moment où il était aimé. Entre temps, y a d’autres jeux qui sont sortis.
Est-ce qu’on va avoir un retour du rétro jeu de plateau ?
Il existe déjà. Le rétro, c’est un truc qui est un peu universel, quel que soit le support. Et y a déjà du rétro jeu de plateau. Tout à l’heure, y a un monsieur qui est venu me voir en me disant : « Ouais j’ai chopé un Super Gang ! » Je ne sais pas si tu connais. C’est hyper vieux, c’était Ludodélire qui faisait çà. Mais je pense que ça fait partie de la culture geek d’être tourné vers son passé. Parce que c’est là qu’on a appris toutes les sources de notre passion actuelle. Donc évidemment il y a une nostalgie de cette époque. Donc des jeux comme Super Gang, (…), Full Metal Planet, qui est un jeu que j’ai trouvé sur une brocante hyper pas cher. A tel point que pour la première fois de ma vie, j’ai négocié à l’envers ! J’ai dit au mec, je vais vous l’acheter un peu plus cher parce que ça serait déraisonnable que je vous le prenne si peu cher ! J’y ai joué et j’ai été assez déçu parce que tu as tout plein d’infos autour de plein de trucs mais en fin de compte,
ce n’est pas transcendant ! C’est comme revoir un vieux film qui a mal vieilli. Donc oui, y a un phénomène un peu rétro sur le jeu de société. Des fois, il y a des éditeurs qui vont rééditer un jeu en se disant « Tiens trop cool ! » et puis ça ne marche pas parfois. Il faut donc trouver la bonne formule. Pourquoi ça ne marche pas, je n’en sais rien. L’exemple typique, c’est Rex. C’est la réédition du jeu qui s’appelait Dune avant. Dune qui est juste un jeu monstrueux ! Mais ils n’ont plus les droits parce que ça coûte trop cher. Donc au lieu de négocier, ils ont édité le même système de jeu mais avec une autre imagerie. Du coup, çà a été le flop. Peut-être que le prix a joué : il était vendu 60 EUR. Mais ça reste un jeu à tester : C’est un vrai bon jeu qui a un aspect diplomatie. Et on trouve peu de jeux vraiment basés sur cet aspect. Donc çà c’est un truc qu’il faudrait que vous testiez.
Oui, avec Hippo Glouton !
C’est un très bon jeu Hippo Glouton ! (rire)
Typiquement, il y a deux marchés sur le jeu de société : il y a nous et puis il y a le mass market. Et là c’est tout un univers aussi qui est beaucoup plus rémunérateur. Après, ça ne nous intéresse pas trop, le mass market. C’est quelque chose que je trouve bizarre.
Merci à Benoit de nous avoir accordé un peu de son temps pour cette interview. Je vous rappelle que la plupart des jeux testés sur TAG sont disponible dans les magasins Sortileges.