Another Sight, une jolie déception (PC)
Il y a des jeux comme ça qui nous arrivent un jour entre les mains, et qu’on a envie d’aimer très fort. C’est le cas de Another Sight, premier-né du studio italien de Lunar Great Wall qui a eu le courage d’aborder une problématique trop méconnue dans le jeu vidéo, touchant pourtant une partie non-négligeable d’individus : la cécité. Pour faire les choses bien, les développeurs ont collaboré avec un institut pour aveugles, afin de retranscrire au mieux les affres liées à la perte de vue, mais aussi la poésie qui peut s’en dégager. Another Sight raconte le lien affectif qui se crée entre un malvoyant et son animal lui servant de guide, quand il s’agit d’affronter des ténèbres permanentes. Autant dire que tous les ingrédients sont réunis pour tirer une larmichette salée aux joueurs les plus sensibles ! Pourtant, la seule larme que j’ai pu verser après avoir parcouru Another Sight n’a pas été le résultat d’une paisible émotion, mais bien à la suite de différentes crises où se mêlaient rage et frustration. Alors que j’ai vraiment eu envie de l’aimer ce jeu, très fort…
Sommaire
The night is dark and full of terrors
Tout ne commence pourtant pas trop mal. Kit, une adolescente un peu geignarde, ersatz d’Alice au pays des merveilles, marche lentement au sein d’un paysage mystérieux, fait de rouages gigantesques transpercés par une lumière incisive. La jeune femme est perdue et à la recherche d’un père qui ne répond pas à ses appels affolés. Mais alors qu’elle se lamente, le sol se craquelle sous ses pieds puis s’effondre… Réveillée plus bas par un chat au pelage flamboyant et aux yeux verrons, du nom de Hodge, Kit s’aperçoit que sa vue est altérée, puisque obstruée par un brouillard obscur. Pas traumatisée pour un sou, l’adolescente se relève et s’en va explorer les méandres d’un Londres version Steampunk, accompagnée de son guide de chat, avec qui elle se lie d’amitié.
Si graphiquement Another Sight ne joue pas dans la cour des grands, il dispose en revanche d’une patte artistique indéniable et cohérente (sans être inoubliable), qui nous fait apprécier la découverte d’un monde à la fois barré et inquiétant, servi par une bande-son à-propos. Le studio a fait le choix de représenter la cécité au travers de jeux de couleurs chamarrées ; c’est-à-dire que chaque son, chaque pas et chaque vibration se traduisent à l’écran par une onde multicolores qui s’immisce joliment dans l’obscurité. Ce parti-pris artistique s’insère parfaitement dans les mécaniques de jeu de plate-forme d’Another Sight, puisque Kit va s’aider de ces couleurs pour tâtonner dans le noir. Malin. Et lorsque l’adolescente se retrouve bloquée par un obstacle que sa condition d’aveugle ne lui permet pas de franchir, nous pouvons prendre le contrôle de Hodge qui peut lui courir, sauter plus haut, grimper aux gouttières, ou miauler pour éclaircir le chemin de Kit. Tout le Gameplay d’Another Sight repose sur cette pierre angulaire qu’est la complémentarité (et la complicité) entre la jeune femme et ce chat au regard malicieux.
Chapristille, que c’est poussif !
Bon, là vous êtes en train de me lire et vous vous dites « Ben ça va, ça a pas l’air trop à chier comme jeu, alors pourquoi il s’est énervé tout rouge dans son paragraphe d’introduction ? » Tout simplement car Another Sight est d’une rigidité dingue dans sa maniabilité. Commençons par Kit : cette dernière se déplace avec une lenteur terrible et saute avec une précision plus que périlleuse ; les allés-retours seront éreintants et les morts nombreuses. Bien sûr, sa cécité aurait pu nous pousser à l’indulgence si sa maladresse était quelque chose de voulue par les développeurs, pour nous montrer à quel point la vie d’aveugle peut être contraignante. On aurait même pu lui pardonner sa démarche de gourde tiens. Mais c’est lorsqu’on se retrouve à contrôler Hodge qu’on se rend compte que non, Another Sight est juste un mauvais jeu de plate-forme. Le chat, censé être la caution agile du duo, a vraisemblablement de l’arthrose puisque n’importe quel saut anodin peut devenir une véritable torture. Hodge manque d’adresse et a en plus la fâcheuse tendance à glisser en atterrissant sur ses pattes (avant de tomber dans le vide), comme on pourrait le faire sur une surface verglacée. Ce qui est cocasse, c’est que cette rigidité se retrouve même au niveau des énigmes proposées, qui seront peu ou prou les mêmes tout au long de l’aventure, à base de leviers à tirer, de portes à ouvrir et d’interrupteurs à pousser, avec quelques timides éléments d’infiltration dans le dernier quart du soft.
Pour résumer une session de jeu en quelques phrases : on tâtonne dans le noir à la recherche d’un levier, en rageant face à la lenteur de Kit tout en se promettant de ne pas insulter une handicapée. On pousse un levier ; on ouvre une porte qui donne accès à un autre levier ; qu’on finit par tirer après avoir raté une dizaine de sauts pour l’atteindre ; ce qui nous donne accès à une nouvelle zone avec un levier à actionner ; mais pour l’atteindre il faut réussir une série de cinq sauts. On saute, on meurt, on saute, on meurt, on devient fou, on insulte le chat car lui n’est pas handicapé, on souhaite même le chatapulter par la queue, mais on finit par se demander s’il n’a pas contracté une sclérose en plaques tellement son corps semble engourdi. Alors on regrette nos insultes, on culpabilise, on se ronge de l’intérieur, jusqu’à la prochaine série de sauts qui fait s’envoler nos regrets et laisse exploser notre colère. Comment un chat peut-il être aussi peu agile bon sang ? Un chat ça bondit avec une précision de sniper, ça court comme un dératé, ça grimpe aux arbres, ça joue les funambules sur de fines branches, et ça ne s’éclate surtout pas au sol comme une vieille merde ! Enfin, certains si, mais pas Hodge bon sang, pas ce fabuleux chat plein de vigueur et au pelage luisant ! Hihi, il a vraiment une tête trop mignonne d’ailleurs, on a envie de lui grattouiller le menton… Roh oui t’aimes bien quand on te grattouille hein ? Qui sait qui aime qu’on le grattouille, hein, qui sa…
Suite à une perte de contact avec notre rédacteur, nous vous proposons un intermède musical :
(Vidéo rare de Hodge en train de jouer du piano)
Bon, n’exagérons rien, jouer à Another Sight, aussi frustrante que soit l’expérience, ne vous plongera pas dans la folie. Finalement, le tort des développeurs Italiens aura été de vouloir créer un jeu de plate-forme, là où ils auraient certainement dû se contenter d’un jeu atmosphérique. Un mot d’ailleurs sur l’histoire qui, si elle n’est pas désagréable à suivre, n’a rien d’exceptionnel. Durant son périple, Kit va rencontrer de nombreuses figures historiques, telles que Claude Monet ou Debussy ; chose initialement plutôt sympathique, mais qui tourne rapidement à l’accumulation de grands noms qui ne fait, au bout du compte, plus vraiment sens. Il en va de même pour la relation qu’entretient Kit avec son félin de compagnon qui n’est hélas que survolée, ce qui donne à cette amitié un goût superficiel peu convainquant.
Le mot de la fin
Quelle déception que ce Another Sight, qui avait su éveiller en moi une curiosité sincère grâce à sa direction artistique originale et réussie. Mais à cause d’une maniabilité préhistorique, il ne reste manette en main que de le frustration, et surtout des regrets.
Les plus : Direction artistique agréable ; la représentation de la cécité ; de bonnes idées…
Les moins : …Passablement réalisées ; la maniabilité d’un autre temps ; Un scénario à peine correct ; La relation Kit/Hodge survolée
Fiche du jeu
Titre : Another Sight
Style : Plate-forme, Atmosphérique
Développeur : Lunar Great Wall (IT)
Éditeur : Fish Eagle
Sortie : le 6 septembre 2018
Plateformes : PC ; Xbox One ; Switch ; Playstation 4
Prix : 19.99€ sur PC
Langues : textes en français, voix anglaises
Site officiel : https://lgwstudios.com/games
Informations à jour au 17 octobre 2018
Clé cd offerte pour la réalisation du test.